Dans le marché B2C grand public, nombreux sont les « buzz » autour des nouvelles technologies censées révolutionner l’apprentissage des langues :
- Applications qui affirment qu’il est possible d’apprendre une langue en trois semaines,
- Plateformes qui annoncent un taux de réussite quasi-soviétique de 97%,
- Oreillettes de traduction en temps réel dans plusieurs langues.
La technologie va-t-elle rendre l’apprentissage des langues obsolète ? Le marché professionnel va-t-il être submergé par la vague d’applications web grand public ? Les formateurs langues vont-ils disparaître, remplacés par des formateurs à distance et des applications d’intelligence artificielle ? Andrew Wickham, consultant en formation linguistique et auteur de l’étude « Le Marché de la Formation Langues à l’heure de la Mondialisation » (2008, 2012 et 2015), fait ici le point sur les dernières tendances du marché professionnel et ses perspectives dans les années qui viennent.
Les principales tendances du marche professionnel français
A/ La formation a distance grignote peu a peu le présentiel
Sur le marché professionnel en France, la part de la formation à distance (cours par téléphone, webinaire, visioconférence, Skype..) est en croissance régulière depuis 10 ans. Elle est passée d’un volume de 20% en 2008 à environ 35% aujourd’hui [i]. En effet, les entreprises cherchent de plus en plus à sensibiliser leurs salariés au tout digital (et également à réduire le coût des formations) en mettant en place des formations en ligne et la digitalisation.
Côté organismes de formation à distance, les investisseurs étrangers et hexagonaux sont de plus en plus actifs en France et sur le marché mondial. D’ailleurs nous avons assisté depuis 2018 à des fusions et acquisitions majeures telles que : Pearson avec Wall Street et Global English en 2010 ; Berlitz avec Telelangue en 2011 ; Créadev avec Yes’N You en 2012 ; Rosetta Stone avecTell Me More en 2013 ; Learnlight avec Communicaid en 2017….
D’autre part, le nombre d’organismes de formation linguistiques à distance présents sur le marché français a augmenté d’un tiers entre 2008 et 2017i et de nouvelles start-up émergent tous les ans. Les investissements les plus importants interviennent notamment dans le développement de la formation en Visio.
Quant aux organismes de formation en présentiels, ils développent eux aussi leurs propres offres en visio, parfois avec leurs formateurs, parfois en offshore. Le métier de formateur évolue donc en conséquence.
B/ Evolution du e-learning 1.0 vers le blended learning integré
Sur le marché français de la formation linguistique professionnelle, le e-learning 1.0 en autonomie (dont les résultats ont été peu probants), a cédé sa place au blended learning à partir de 2009. Cependant les stagiaires regrettant le manque contact humain.
Les premières versions de blended learning ont donné des résultats médiocres car ils étaient trop hétéroclites, et se résumaient en un simple assemblage de modalités sans cohérence pédagogique.
A partir de 2010, le marché a réagi en évoluant vers un concept de Blended Learning Intégré dans lequel d’une part le formateur est beaucoup plus impliqué dans les activités en ligne des stagiaires et, d’autre part les différentes modalités sont mieux imbriquées. La tendance est à l’intégration verticale du digital avec le présentiel. D’ailleurs, un quart des écoles de langues développent aujourd’hui leurs propres ressources digitales, tandis que les plateformes en ligne développent des outils permettant aux formateurs de personnaliser les parcours de leurs apprenants (L’Espace Coach de 7Speaking en est un bon exemple).
C/ Le e-learning 2.0 – un nouveau boost pour le e-learning en autonomie
Le e-learning 2.0, d’abord expérimenté sur le marché B2C, tente de relancer le concept de l’apprentissage en autonomie, en corrigeant les inconvénients du e-learning 1.0 grâce à une palette pédagogique beaucoup plus riche et personnalisée.
Défauts du e-learning 1.0 |
Réponse du e-learning 2.0 |
Exercices trop mécaniques, peu motivants |
Introduction du concept de GAMIFICATION (ludification) - l'utilisation des mécanismes du jeu dans des applications d'apprentissage. Les pionniers dans ce domaine viennent du B2C (Busuu, Duolingo…), mais quasi toutes les plateformes d’elearning professionnel intègrent désormais ce concept. |
Activités artificielles, éloignées des situations réelles d’utilisation de la langue |
Les SERIOUS GAMES : des jeux interactifs avec des avatars qui tentent de simuler des situations réelles commencent à émerger. Avec son module Professional Skills, 7Speaking a été l’une des premières plateformes digitales à intégrer l’approche CLIL (en français EMILE), qui rapproche langue et monde professionnel en associant simultanément l’apprentissage d’une compétence à un apprentissage linguistique. |
Exercices et programmes trop standardisés, pas assez personnalisés pour motiver les apprenants |
L’ADAPTIVE LEARNING permet d’ adapter l’apprentissage à chaque apprenant et de personnaliser les parcours en utilisant des algorithmes et l’intelligence artificielle. De plus en plus de plateformes professionnelles « classiques » adoptent désormais cette technologie inexistante dans le elearning 1.0. |
L’apprenant a du mal à se motiver et souhaite un contact humain. |
Le SOCIAL LEARNING réunit les apprenants dans des forums, webinaires et classes virtuelles ce qui les encourage à s’entraider, voir à pratiquer les langues entre eux. Cette approche est également de plus en plus adoptée par les plateformes grand public et dans le BtoB, notamment par 7Speaking. |
Durée des activités et exercices proposés trop chronophages. |
Le MICROLEARNING (modalité qui fractionne l’apprentissage en petit modules quotidiens de 10 à 15 minutes), est une simple technique permettant de rythmer l’apprentissage de manière plus digeste. Il a été adopté par des nouvelles plateformes telles que Babbel. Selon certains spécialistes des neurosciences on mémorise bien mieux qu’avec l’apprentissage « concentré » de la formation traditionnelle,. D’après ces experts, cette approche renforce considérablement la motivation et l’engagement. |
D/ Les applications du marche b2c et la migration vers le mobile learning
Selon le rapport 2016 d’Ambient Insight, le marché mondial de l’e-learning en autonomie est en phase de déclin accéléré. Les principales raisons de ce déclin sont : la migration massive des contenus vers des plateformes mobiles, les approches plus agiles (rapid learning) et plus adaptatives (adaptive learning ), le blended learning, les MOOC, et les applications gratuites (freemium).
Le business model le plus courant pour ces applis B2C est le freemium/premium model : un premier niveau d’utilisateurs gratuit et un deuxième niveau d’abonnés payants.
Dans ce créneau grand public, on trouve Duolingo (Google y a récemment investi $40 M de dollars), les plateformes internationales comme Babbel et Busuu, Rosetta Stone, Memrise, Lingo Arcade, Tribal Nova, Lingual Leo, Salsa, Easy Language Learning , Voxy, Mango Languages, etc…
Sur le marché français de la formation professionnelle, ces applications sont aujourd’hui peu présentes. Les DRH sont de plus en plus intéressés par ce modèle et également, les grandes plateformes d’e-learning du marché évoluent vers le mobile learning et vers les fonctionnalités du e-learning 2.0.
E/ La réalité virtuelle : la dernière frontière
La VR est la dernière frontière dans l’apprentissage des langues sans formateur. Par exemple, Mondly est un site d’apprentissage attractif qui propose des chatbot en plusieurs langues, avec une application de reconnaissance vocale. Aujourd’hui, ce site propose une expérience VR avec casque, qui vous fait entrer dans un monde similaire à Second Life, permettant d’échanger en plusieurs langues avec des personnages robotiques similaires à ceux des Serious Games.
F/ Des MOOCs en blended learning ?
Quelques expérimentations de mise en place de MOOCs dans le domaine linguistique dans des universités ont donné des résultats peu reluisants (les taux de complétude moyen de ce modèle ne dépassait pas 7%).Le modèle beaucoup plus prometteur des MOOCs « blended » incluant des webinaires et séances « live » avec un formateur commencent aujourd’hui à apparaître.
G/ Arrivée des géants du web dans la formation
Facebook, Linkedin et Google se lancent depuis peu sur le marché de la formation professionnelle :
- Facebook a annoncé récemment son intention de former 50.000 demandeurs d’emplois d’ici fin 2019 (dans le cadre d’un partenariat avec Pôle Emploi) sur les compétences bureautiques et informatiques.
- De même, Google s’est lancé sur le marché des MOOCs à destination des salariés en partenariat depuis 2012 avec Coursera et Udacity. Leur objectif est de proposer des formations aux nouveaux métiers informatiques.
- Linkedin a récemment lancé sa propre plateforme, Linkedin Learning, dédiée à la formation professionnelle.
On peut parier que ces géants se lanceront bientôt directement dans l’apprentissage des langues B2C, toute l’infrastructure étant déjà en place et le marché potentiel est colossal, en particulier dans les pays émergents.
Ces géants du web réussiront-ils à convaincre les utilisateurs professionnels et à élaborer des produits et services adaptés ? On peut se le demander, en particulier au moment où le RGPD (Règlement Général sur la Protection des Données) entre en vigueur dans toute l’Europe.
H/ Traduction automatique : des pas de géant
Enfin, la traduction automatique (machine translation), alliée à l’intelligence artificielle, a fait des pas de géant récemment : il suffit de tester l’app de Google Translate sur un smartphone pour être convaincu (tant en reconnaissance de caractères qu’en traduction simultanée vocale). Dans un futur proche où l’on pourra traduire en simultané (avec une précision suffisante) la plupart des dialogues entre humains, le besoin d’apprendre des langues va-t-il disparaître ?
A notre avis, tout concourt à ce que le distanciel (majoritairement intégré avec le présentiel), continue sa progression en devenant d’ici 3 à 5 ans, la modalité dominante de la formation professionnelle linguistique (grâce notamment à la richesse des nouvelles technologies et à l’arrivée dans les entreprises des digital natives). En effet, le présentiel en face à face répond encore à un besoin réel des apprenants et des entreprises (accompagnement humain, personnalisation, dynamique de groupe). Celui-ci ne devrait donc pas disparaitre mais, s’intégrer de plus en plus à des fonctionnalités digitales.
[i] Etude Linguaid 2015