Le 12 avril de cette année, nous avons publié un article d’Andrew Wickham, expert du marché de la formation linguistique, intitulé « L’impact de la réforme Macron sur les dispositifs de formation linguistique des entreprises ».
Suite au vote définitif du projet de Loi par l’Assemblée le 1er août, Andrew fait dans cette 1ère partie ici un nouveau point d’étape sur la réforme. Dans la 2ème partie du guide, il examine l’impact de cette réforme pour les entreprises et les individus.
1-Les mesures clés de la réforme de la formation professionnelle
A - Rappel des principales dispositions retenues
TEXTE DE L’ARTICLE DU 12 AVRIL |
MISE A JOUR / COMMENTAIRES |
UN CPF CONVERTI EN EUROS Chaque actif (même à temps partiel) cumulera 500 euros de crédit formation par an plafonnés à 5000 euros sur 10 ans. Les actifs en CDD verront leurs comptes crédités au prorata temporis. (800 et 8000 euros aux personnes sans qualification). |
Le taux de conversion des heures stockées sur les comptes personnels de formation est fixé à 14,28 euros. Ce chiffre est à comparer à une moyenne de prise en charge par les OPCA de 25 à 80 euros actuellement (35 € en moyenne). Les droits de formation cumulés sur les comptes des actifs perdent ainsi 60% de leur valeur. Selon Arnaud Portanelli de CPFormation « avec la disparition de la prise en charge par les OPCA, la valeur des comptes CPF va s’effondrer au premier janvier 2019 ». La Ministre a toutefois précisé que l'enveloppe globale destinée au CPF représentera 2 milliards d'euros, comparé à 1,3 milliards en 2017 (+54%). Pour éviter que les formations longues et qualifiantes ne soient plus financées, le gouvernement encourage fortement le découpage de ces parcours en blocs de compétences. |
LE CPF ACCESSIBLE SUR SMARTPHONE En parallèle, une application «CPF » permettant à chaque individu de piloter son propre parcours professionnel en fonction des postes disponibles et de l’offre de formation devrait également voir le jour. |
L’application ne sera disponible qu’à partir de la rentrée 2019 (au plus tôt). Elle permettra « en quelques clics » aux bénéficiaires de rechercher les offres d’emploi sur leur région et dans leur spécialité, de rechercher des formations pertinentes, de trouver les offres des organismes de formation, de voir les évaluations de leurs stagiaires et de payer le parcours choisi via la Caisse des Dépôts. |
SIMPLIFICATION DE LA COLLECTE ET DES CIRCUITS DE FINANCEMENT Les entreprises verseront une seule cotisation à l’URSSAF : 1,68 % pour les entreprises de plus de 11 salariés et 1,23 % pour celles de moins de 11 salariés. La Caisse des Dépôts gérera les fonds et réglera les organismes de formation directement. Les entreprises de plus de 50 salariés ne pourront plus recevoir de fonds paritaires (hors contrats d’apprentissage), sauf dispositifs spécifiques. Les fonds collectés seront réservés prioritairement aux TPE/PME de moins de 50 personnes. |
Les entreprises de plus de 50 employés auront des obligations comptables et de reporting largement allégées à partir de janvier 2019. Leur Plan de Formation devient un « Plan de Développement des Compétences » et la nouvelle définition de l’Action de Formation, plus large, s’applique. L’URSSAF collectera les contributions à la place des OPCA à partir de 2021. Des interrogations subsistent sur la capacité réelle de la Caisse des Dépôts à gérer les comptes de 30 millions d’actifs ainsi que des micro-paiements fractionnés pour des dizaines de milliers de prestataires, la traçabilité de ces opérations et le manque de contrôle en amont (il n’y aura pas de système de validation des dossiers, comme c’est le cas actuellement avec les OPCA). |
LES OPCA SE TRANSFORMENT EN OPCO Les OPCA et les OPACIF seront remplacés par des « Opérateurs de Compétences » par « filière », chargés de financer l’apprentissage et les Plans de Formation des TPE/PME de moins de 50 salariés, de co-construire des certifications de branche et de contrôler la qualité et les prix des organismes, sous la direction de la nouvelle agence nationale « France Compétences ». |
Les OPCA, réduits à 10 (ou 15) et organisés par « filière industrielle » deviennent des opérateurs de compétences (OPCO) à partir de janvier 2019. A partir de 2021, ils ne collecteront plus les contributions des entreprises, rôle qui sera assuré par les URSSAF. Ils seront financés pour ces actions par la Caisse des Dépôts. Les OPCO collecteront les contributions libres et conventionnelles des entreprises, ainsi que celles des indépendants (hors CPF) et assureront le financement de leurs formations. Les branches doivent désigner leur OPCO avant le 31 octobre 2018. Plusieurs se sont déjà prononcées |
SIMPLIFICATION DU PLAN DE FORMATION Quant au Plan de Formation, il sera simplifié à l’extrême et deviendra « le plan d’adaptation et de développement des compétences. ». Les obligations de former et de veiller à l’employabilité des salariés resteront toutefois intacts. |
Selon Mathilde Bourdat, de CEGOS, cette loi « renverse la perspective sur ce qu’est une action de formation. On ne part plus du programme » pour la définir, mais des objectifs professionnels qu’elle vise » Elle poursuit « Nous ne sommes pas dans « l’informel » : un ou plusieurs objectifs professionnels doivent bien avoir été fixés en amont, un processus pédagogique conçu pour permettre l’atteinte de ces objectifs. Mais il n’est pas nécessaire que toutes les étapes de la progression soient préétablies. Cette nouvelle définition ouvre la voie à l’innovation, à la diversification des ressources proposées pour apprendre : formation « formelle », toujours, présentielle et/ ou à distance, mais aussi formation en situation de travail, missions accompagnées, projets à conduire, échanges de pratiques, accompagnement par un tuteur ou des pairs, libre accès à des ressources… » |
B- Autres dispositions de la loi ne figurant pas dans l’article du 12 avril
Refonte de la gouvernance du système France compétences, gérée par l'état, les partenaires sociaux et les régions remplacera la FPPSP, le CNEFOP, la CNCP et le Copanef en janvier 2019. Progressivement, cette agence déploiera des missions de répartition égalitaire financière, contrôlera les prix des formations, veillera à la qualité des formations et aux certifications des organismes formateurs. Elle sera également chargée du contrôle du cep et du CPF de transition. |
Nouvelle définition beaucoup plus large de « l’action de formation », « L’action de formation se définit comme un processus pédagogique permettant l’atteinte d’un objectif professionnel. Elle fait l’objet de modalités d’apprentissage identifiées pouvant comprendre des séquences de positionnement pédagogique, de formation et d’accompagnement de la personne qui suit l’action, dont les acquis sont évalués. Elle peut être réalisée en tout ou partie à distance. Elle peut être réalisée en situation de travail. » art. L.6313-2 de l’avant-projet de loi présenté à la presse le 6 avril 2018 Cette définition, valable à partir du dernier trimestre 2018, favorise les apprentissages informels (formations autodirigées, colloques, social learning, apprentissage sur le lieu de travail...), et distanciels (modalités de formation digitales et à distance, Mooc… ). Selon Jean-Pierre Willems « la réforme va jusqu’au bout du processus d’élargissement de la définition de l’action de formation professionnelle : il s’agit désormais simplement d’ « un parcours pédagogique permettant d’atteindre un objectif professionnel. ». |
La certification qualité des organismes devient obligatoire Oublié data dock : à partir de janvier 2021, tout organisme de formation devra être certifié par France Compétences pour accéder aux financements publics. Les contours sont encore flous, mais en principe cela obligera les organismes à adopter une certification approuvée par la COFRAC (ISA, AFNOR, OPQF, etc..) Et à se conformer aux critères qualité de France Compétences. |
Simplification du système de certification professionnelle des formations Fin des listes régionales (Coparef), de branche (CPNE), et nationales (Copanef). Toute formation financée par le CPF devra obligatoirement inclure une certification inscrite au RNCP - registre national des certifications professionnelles (dans le cas des certifications langues, à l’inventaire, désormais appelé « registre spécifique »). La commission nationale de certifications professionnelles (CNCP) sera intégrée à l’agence France Compétences, qui élaborera de nouvelles règles de certification sans doute plus restrictives. Il est probable que bon nombre de certifications actuelles devront être révisées. |
Un conseil en évolution professionnelle renforce et dote d’un financement spécifique Le CEP est un dispositif d'accompagnement gratuit proposé aux personnes souhaitant faire un bilan de leur situation professionnelle, changer d’orientation ou s’engager dans une formation. Le CEP bénéficiera désormais d’un financement dédié d’environ 200 millions d’euros. C’est une bonne nouvelle, car, pour que le CPF autonome fonctionne correctement un accompagnement gratuit sera vital, en particulier pour les personnes peu qualifiées. Les opérateurs actuels (à l’exception du FONGECIF, écarté par le ministère) devront se soumettre à des appels d’offres locaux pour continuer leur mission. Ces appels d’offres seront également ouverts à des établissements privés. |
C- Situation actuelle du projet de loi
Le projet de loi, dans sa version définitive, a été adoptée par l’assemblée nationale le 1er août 2018. Malgré de fortes objections de la part des sénateurs et du dépôt de centaines d’amendements, le dispositif définitif a été très peu modifié et reste très proche du projet déposé par Muriel Pénicaud en mars 2018. On n’attend plus que la réponse, début septembre, du conseil constitutionnel aux recours déposés par certains groupes parlementaires pour que cette version soit publiée au journal officiel.
2 - Quel impact sur les projets de formation linguistique ?
Dans 1ère partie de ce guide, Andrew Wickham fait un point d’étape sur la réforme, du point de vue de la formation linguistique. Dans cette 2ème partie il examine l’impact de cette réforme sur les projets de formation linguistique des entreprises et des individus.
A- Le calendrier de mise en œuvre de la réforme
*attention, ce calendrier est provisoire,il y a actuellement beaucoup d’incertitudes sur l’application de la loi.
Ce calendrier suscite bon nombre d’interrogations. En particulier parce que le gouvernement prévoit le déploiement progressif du dispositif sur une période de deux ans, en changeant les règles du CPF dès le départ, sans avoir mis en place au préalable la mécanique et la logistique. C’est un peu comme si on ouvrait un magasin avec une grande campagne publicitaire dans la presse, mais sans produits dans les rayons ni caisses enregistreuses ni personnel pour accueillir le public.
B- 2019 : un trou d’air comme en 2015 ?
La monétisation, en divisant les droits disponibles par deux, voire trois, va sensiblement réduire le nombre et la durée des parcours de formation accessibles aux bénéficiaires. Au maximum, les individus bénéficieront d’un budget d’environ 2.200 euros (14,28 € x 150 heures). Beaucoup de projets de formation risquent donc d’être freinés par cette mesure, même si les formations courtes (langues, bureautique) et les modalités distancielles seront à priori favorisées.
Les entreprises de plus de 50 salariés n’auront plus accès aux fonds des OPCA à partir de janvier 2019. Le seul modèle du CPF sera le CPF autonome, dont la grande complexité a été soulignée dans les rapports récents de l’IGAS et du DARES.
La nouvelle loi a été construite pour simplifier et fluidifier la démarche des apprenants autonomes. Or, l’appli mobile, clé de voute pour simplifier la procédure et permettre aux individus d’exercer leurs droits de manière autonome, ne sera prête qu’au plus tôt en milieu, voire en fin 2019. En attendant, les individus devront chercher l’information ailleurs et les dossiers continueront à être gérés par les OPCA, avec leurs procédures actuelles et leurs systèmes d’information divers.
Ceci est problématique, compte tenu du fait que le conseil en évolution professionnelle ne sera pas encore opérationnel et, que les OPCA seront en pleine restructuration. De plus, les responsables de formation auront tendance soit à orienter les apprenants vers les OPCA, soit à reporter les projets de formation tant que les incertitudes juridiques perdurent.
Il est ainsi probable que, malgré l’appel d’air crée par la monétisation du CPF, le maintien pendant au minimum 6 mois du dispositif actuel ralentira très fortement son essor, au moins jusqu’au 4ème trimestre 2019. On peut donc s’attendre à un « trou d’air » en 2019, similaire à celui de 2015, avec une montée en régime très progressive qui risque de créer beaucoup de problèmes pour les organismes de formation aux langues.
C - Impact probable de la réforme et enjeux
Sur les bénéficiaires du CPF :
Dans un premier temps, un emballement des bénéficiaires est à prévoir, mais il existe un risque de déception face :
- aux moyens financiers limités par rapport aux formations souhaitées,
- au manque d’interlocuteurs qualifiés et d’outils pour l’orientation
- à la lourdeur et la complexité des procédures toujours en vigueur en 2019.
A terme :
- la montée en régime du dispositif, la simplicité des démarches (si le système tient ses promesses), l’ouverture à tous les actifs et l’adaptation des offres des prestataires encourageront de plus en plus de bénéficiaires à utiliser leur compte.
- les individus chercheront sans doute des offres adaptées à leurs budgets et auront tendance à privilégier les formations courtes, notamment en langues et en informatique, ainsi que les modalités inter-entreprise et distancielles.
- la pratique de payer une partie de la formation avec ses propres deniers s’étendra sans doute davantage.
- l’orientation des bénéficiaires sera un enjeu crucial pour la réussite de la réforme. En effet, il n’est pas certain que le libre choix des formations permettra de corriger l’écart tant décrié en France entre l’offre d’emploi et la demande, ni de permettre aux individus de choisir les formations les plus efficaces et les plus qualitatives.
Sur la formation linguistique en entreprise :
Malgré des intentions louables, cette nouvelle loi va réduire les moyens à la disposition des entreprises pour former leurs salariés. Selon Jean-Pierre Willems, « au total, ce qui est certain, c’est qu’il y aura moins de moyens pour la formation dans l’entreprise, et que celle-ci devra investir davantage en complément. ».
L’impact de cette loi sur la formation en entreprise variera en fonction de la taille et de la politique de formation langues de l’entreprise :
Entreprises de moins de 50 personnes (TPE, PME)
L’état et les partenaires sociaux veulent résolument rééquilibrer la répartition des fonds de la formation, très inégalitaire en France. Les PME, les demandeurs d’emploi et les personnes peu qualifiées font l’objet de mesures spécifiques dans la loi et en seront, le gouvernement l’espère, les principaux bénéficiaires.
Alors que les cotisations des entreprises restent au même niveau (1,23% et 1,68%), les entreprises de plus de 50 personnes ne bénéficieront pratiquement plus des fonds paritaires. Ces fonds seront dirigés prioritairement vers les entreprises de moins de 50 salariés, où la formation est traditionnellement très peu développée, grâce à un système de « fongibilité asymétrique » (dixit Marc Dennery), pouvant apporter une cagnotte supplémentaire d’environ 440 millions d’euros – pratiquement le double des budgets actuels.
Entreprises de plus de 50 personnes pour lesquelles la formation langues est un investissement
- avec moins de prise sur les mécanismes de formation et une liberté de choix nouvelle pour les salariés, le rôle du responsable formation évoluera davantage vers celui de responsable en développement des compétences, de conseiller et d’expert métier.
- on peut s’attendre à une exigence renforcée de preuves de ROI et de résultats, ou à une demande de prestataires qui intègrent directement un suivi précis de ces KPI dans leurs parcours, car les directions des entreprises devront être convaincues de l’utilité immédiate des projets de formation linguistique, qui ne pourront plus être financés par les OPCA. Selon José Montes, du groupe Cegos : "jusque-là, la France était une exception. Le marché français va se comporter comme partout ailleurs dans le monde. La proposition de valeur, le discours, les solutions adaptées à un marché libre… » ,
- une expérimentation accrue, à partir de solutions informelles, hybrides, d’apprentissage sur le lieu de travail, de participation à des congrès et séminaires, de « Social learning », le Clil, les Mooc et les Spooc.
- une demande accrue d’offres blended et distancielles attractives et motivantes pour les salariés,
- une politique de co-construction et d’abondement du CPF, là où c’est possible.
Entreprises de plus de 50 salariés pour lesquelles la formation langues est un coût à optimiser
- ces entreprises pourraient laisser les salariés se débrouiller seuls avec leur CPF. Selon Pierre Ferracci : « cette loi ne doit pas entraîner une déresponsabilisation des entreprises". L’inégalité d’accès à la formation pourrait s’accentuer car, seuls les salariés les plus autonomes et les mieux accompagnés et informés (les cadres des grandes entreprises) bénéficieraient du dispositif.
- tendance à externaliser la gestion de la formation langues, plutôt qu’à la gérer,
- recherche de solutions low cost, gratuites ou distancielles, pour les formations n’ayant pas une utilité professionnelle immédiate et manifeste,
- moins de référencement de prestataires et d’appels d’offres, car les responsables de formation pourront moins imposer des prestataires (ou des solutions) et garantir des volumes aux prestataires.
- les prestataires devront obtenir une certification qualité approuvée par le Cofrac avant janvier 2021, au risque d’être exclus du marché CPF. Mais une certification « cofraquée » assure-t-elle la qualité ?
Marc Dennery de C-campus considère que cette approche centrée exclusivement sur les prestataires ne garantit pas à elle seule la qualité. Pour lui, la qualité d’une formation est le résultat d’un processus co-construit par plusieurs acteurs : l’organisme de formation prestataire, le formateur, le donneur d’ordre et enfin l’apprenant. Selon lui « plutôt que d’exiger que les organismes certificateurs soient “cofraqués”, on ferait mieux de muscler les exigences sur les critères de l’aide au choix de la formation et de l’accompagnement.».
Compte tenu de l’exigence de qualité croissante, de la concurrence accrue et de la marchandisation d’un secteur de plus en plus « B2C », on peut à moyen terme prévoir des regroupements de prestataires ainsi qu’une réduction importante de leur nombre.