La réforme de la formation professionnelle proposée par le gouvernement Macron sera présentée en conseil des ministres le 25 avril et devant l’Assemblée Nationale en juin, voire en septembre. Ensuite, les décrets et ordonnances devront paraître et la loi ne sera applicable qu’à partir de janvier 2019 au plus tôt. Des dispositions essentielles de cette loi ne seront effectives qu’à partir de l’été 2020 voire 2021 Beaucoup de détails restent à régler et les syndicats patronaux et salariaux, vent debout contre cette réforme, peuvent donner encore beaucoup de fil à retordre au gouvernement et la faire évoluer.
Cette loi impactera à coup sûr le métier du responsable de formation. Dans quelles proportions ? Il est bien sûr trop tôt pour dresser un tableau définitif mais de grandes lignes se dégagent déjà. Nous vous présentons ici les conclusions d’Andrew Wickham de Linguaid concernant les principaux changements et leur impact potentiel sur le marché.
Les mesures qui impacteront le plus la formation linguistique en entreprise
La monétisation du CPF et la création d’une app « CPF »
Chaque actif (même à temps partiel) cumulera 500 euros de crédit formation par an plafonnés à 5000 euros sur 10 ans*. Les actifs en CDD verront leur compte crédité au prorata temporis. (*800 et 8000 euros aux personnes sans qualification).
En parallèle, une application « CPF » permettant à chaque individu de piloter son propre parcours professionnel en fonction des postes disponibles et de l’offre de formation devrait également voir le jour.
Commentaires : A ce jour, il n’y a pas encore de précisions sur le taux de conversion des heures CPF et DIF stockées sur les comptes. Si les 24 heures par an du CPF actuel deviennent 500 €, le taux de prise en charge passerait de 21€ / heure, contre 41 €/h actuellement par les OPCA.
De plus, si la proposition des partenaires sociaux de baser le taux appliqué sur l’Accord National Interprofessionnel (ANI) est retenue, le taux de conversion atteindrait les 14€/h.
En résumé, si le salarié comptabilise actuellement 120 heures sur son CPF, qui « valent » aujourd’hui 4.920 euros, elles ne vaudront demain que 2.250, voire 1.680 euros (en application de l’ANI).
Par ailleurs, pour les formations réalisées pendant le temps de travail, la monétisation prévoit de ne plus rembourser les employeurs d’une quote-part de la rémunération des salariés en formation. Cette opération est, jusqu’à présent, assurée par les OPCA.
Conséquences probables de la monétisation
La monétisation entraînera vraisemblablement à terme (une fois que l’application CPF sera lancée) une augmentation du nombre de personnes en formation, car :
1) les procédures de prise en charge seront théoriquement bien plus simples,
2) pour un salarié, un crédit financier est beaucoup plus concret qu’un nombre d’heures
3) il n’y aura plus d’intermédiaire entre les apprenants et les organismes de formation
En contrepartie de ces changements, chaque titulaire d’un compte de formation verra son crédit individuel divisé par deux, voire par trois par rapport à ses droits actuels. Il/elle devra donc patienter quelques années supplémentaires pour réussir à obtenir sur son compte le crédit nécessaire pour financer une formation de qualité. Une alternative pour celles et ceux qui seraient pressés de commencer une formation sera alors de choisir des modules courts et peu chers. La formation linguistique pourrait donc tendre vers un marché davantage low cost B2C.
Impact sur le travail du responsable de formation (RF)
Entreprises où la formation linguistique est considérée comme un investissement
Dans le cas des formations linguistiques stratégiques financées directement par les entreprises, les indicateurs de qualité, de résultats et de retour sur investissements occuperont une place de plus en plus déterminante.
Les RF auront donc besoin, s’ils ne les ont pas déjà, de s’équiper de systèmes d’évaluation de l’impact et de la qualité des formations ou de choisir des prestataires qui intègrent directement un suivi précis de ces KPI dans leurs parcours.
Les entreprises qui considèrent la formation comme un investissement, continueront sans doute à orienter les salariés, même ceux dont les besoins sont moins prioritaires, car ces derniers auront du mal à choisir parmi toutes les offres diverses et variées proposées par le marché. Le métier du Responsable de Formation dans ces entreprises se rapprochera donc de celui de conseiller en formation et l’expertise métier, la capacité à organiser une veille, à repérer les nouvelles offres innovantes et les « best practices » du marché seront des atouts considérables.
Il est urgent, pour les RF qui continueront à s’impliquer dans la formation linguistique, de se renseigner sur l’offre à distance et « benchmarker » les solutions les plus efficaces et les mieux notées.
L’aspect « Tripadvisor de la Formation » de la future application CPF constituera, de fait, une source intéressante d’informations.
Enfin, face à ces nouvelles règles, les RF les plus renseignés chercheront des solutions de financement innovantes, intégrant aux parcours de formations traditionnels des apprentissages informels (réseaux collaboratifs, clubs de langue, activités culturelles...) permis par la nouvelle définition de l’action de formation. Ici encore, l’individu, devenu acteur de sa formation risque d’être bien plus exigeant sur les résultats et l’efficacité de sa formation qu’il ne l’est aujourd’hui.
Entreprises ou la formation linguistique n’est pas prioritaire
Dans les entreprises qui ne considèrent pas la formation linguistique comme un investissement, en particulier lorsqu’il s’agit de populations dont les besoins ne sont pas prioritaires, les RF auront tendance à se décharger de la tâche et à orienter les salariés vers le Conseil en Evolution Professionnelle (qui bénéficie d’un financement dédié dans le projet de loi) ou vers un prestataire.
Les salariés pouvant par ailleurs choisir leurs organismes de formation et négocier leurs parcours sans passer par les RF, les Appels d’Offres et le référencement des prestataires pratiqués par les grandes entreprises perdront en partie leur raison d’être. En effet, quel intérêt y aura-t-il à s’engager dans des procédures lourdes et coûteuses de référencement et de négocier des catalogues d’offres avec les prestataires si on ne peut pas garantir les volumes de stagiaires ni les obliger à choisir un organisme ?
A partir de 2020, la monétisation favorisera sans doute, pour ces populations, les prestataires bénéficiant d’importants moyens en marketing B2C, visibles aux yeux de l’utilisateur final (publicité, articles, offre de prix claire…) et proposant des parcours hors temps de travail, à un tarif faible, grâce aux offres digitalisées. Cela attirera probablement les grands noms du digital sur le marché français, qui concurrenceront rudement les organismes de formation traditionnels.
Simplification de la collecte, du Plan de Formation et des circuits de financement
Les entreprises verseront une seule cotisation à l’URSSAF : 1,68 % pour les entreprises de plus de 11 salariés et 1,23 % pour celles de moins de 11 salariés. La Caisse des Dépôts gérera les fonds et règlera les organismes de formation directement. Les entreprises de plus de 50 salariés ne pourront plus recevoir de fonds paritaires (hors contrats d’apprentissage), sauf dispositifs spécifiques. Les fonds collectés seront réservés prioritairement aux TPE/PME de moins de 50 personnes.
Les OPCA et les OPACIF seront remplacés par des « Opérateurs de Compétences » par « filière », chargés de financer l’apprentissage et les Plans de Formation des TPE/PME de moins de 50 salariés, de co-construire des certifications de branche et de contrôler la qualité et les prix des organismes, sous la direction de la nouvelle agence nationale « France Compétences ».
Quant au Plan de Formation, il sera simplifié à l’extrême et deviendra « le plan d’adaptation et de développement des compétences. ». Les obligations de former et de veiller à l’employabilité des salariés resteront toutefois intacts.
Impact sur le métier du responsable de formation
Pour les RF des grandes et moyennes entreprises, ces différentes mesures vont très largement simplifier leur travail :
- moins de calculs complexes pour établir un Plan de Formation,
- moins de documents administratifs à remplir,
- un versement de cotisations radicalement simplifié.
Le RF pourra ainsi davantage se concentrer sur l’ingénierie de la formation, l’intégration avec le GPEC, les relations avec les prestataires et le benchmarking.
En revanche, il ne sera plus possible pour une entreprise de plus de 50 salariés d’optimiser le financement de son Plan de Formation en « Cépéiffant » la formation linguistique et en récupérant une partie de la rémunération des salariés en formation pendant les heures de travail (pratique répandue dans les entreprises en 2016 et 2017).
De même, la Période de Professionnalisation, souvent utilisée pour financer des formations linguistiques avec moins de contraintes que le CPF, sera supprimée.
Ces entreprises de plus de 50 salariés réserveront leurs financements aux formations linguistiques prioritaires ou stratégiques, là encore avec une exigence accrue de résultats et d’efficacité opérationnelle. Toutefois, les RF les plus créatifs trouveront sans doute, dans la co-construction et le co-financement de parcours avec les apprenants, des pistes intéressantes pour optimiser leurs dispositifs.
Conclusions
Le Big Bang est bien là et il est clair que la donne va changer de manière substantielle pour les responsables de formation, même s’il serait exagéré de parler de révolution, car seules une minorité d’entreprises utilisaient le CPF (28% selon CentreInffo).
Les principaux impacts de cette réforme sur les formations linguistiques seront donc :
- une réduction importante des possibilités de financement,
- une simplification radicale du travail administratif du RF
- une évolution de son rôle vers le conseil et l’accompagnement des salariés en formation.
A plus long terme, les dispositions de la loi concernant le contrôle qualité et prix des organismes par l’agence France Compétences ainsi que les relations avec les opérateurs de compétences auront également un impact sur le marché de la formation, mais qui reste aujourd’hui difficile à mesurer.
Andrew Wickham - Consultant en formation professionnelle Expert du marché de la formation linguistique, auteur des études Linguaid « Le Marché de la Formation Langues à l’Heure de la Mondialisation » et du livre blanc « Du blended learning à l’integrated learning », Andrew a animé des dizaines de débats et de présentations sur le marché des langues depuis 10 ans. |